L’est de Flores, entre volcan, village baleinier, et immersion dans la culture de l’ile de Lembeta







Apres une bonne journée de bus aux paysages encore une fois époustouflants, plage de sable noir, eau plus que transparente, galets bleus, végétation luxuriante, j’arrive dans la région des Ende, toujours sur la magnifique ile de Flores,  et pose mon sac dans la petite ville montagnarde de Moni, au pied du célèbre volcan Kelimutu, pensant trouver une ambiance alpine calme et reposante… 


C’est en effet calme et reposant avec vue sur les montagnes et les rizières ; nous sommes en saison creuse, le village est une succession de guest house mais je suis déçu,  dès mon arrivée,  par l’attitude des locaux, tellement habitués aux touristes qu’ils en ont perdu le principal attrait de l’Indonésie, soit la gentillesse de ses habitants, et ne pensent qu’à l’argent. 

Directement arrivé, je trouve une chambre, apparemment la moins chère du village mais quand même pas donnée, même après négociation, la femme se fout totalement de ma gueule, me demande de payer d’avance les 3 nuits que je lui ai promis, me demande 20 dollars pour faire ma lessive, l’eau est hors de prix… 
Ahahahahah, je remballe tout mon bordel et change illico presto de guest house, j’atterris pour pas plus cher chez Tom, un lokseu hyper sympa… Je préfère !


 Bon,  ce n’est pas la première fois que ça m’arrive, j’ai déjà connu des situations similaires dans d’autres pays, passons, je suis ici pour escalader le Kelimutu.
Je rencontre directement, sans le vouloir, 2 couples de Français, et une Française solo, nous passons la soirée ensemble dans un super restau, excellent repas indonésien plein d’innovations (pour changer du nasi goreng et du mie goreng), nous nous saoûlons à la bière et à l arrak (alcool de palme) tout en parlant (bien fort, comme 6 français ensemble) de voyages et surtout de plongées car tout ce petit monde s’avère aimer le monde sous-marin et les 2 couples ont déjà plongé dans les plus beaux endroits du monde (pour les connaisseurs, Raja Ampat et Manodo Tua pour ne parler que de l’Indo !).

Après une journée de glandouille, lessive, lecture, échange de dossier sur l’ordi, je me lève le surlendemain à 4 h pour monter au Kelimutu au sunrise (en moto !). 

Le spectacle du lever de soleil sur les 3 lacs à l’intérieur des cratères, l’un bleu turquoise olympique de Marseille, l’autre vert émeraude, le dernier brun/noir chocolat, tous les 3 lisses comme de la laque, est fabuleux. 




Je reste plus d’une heure au sommet le plus haut, « inspiration point », en compagnie de 5 autres personnes, espantés par l’atmosphère irréelle du lieu, un paysage lunaire avec trois profonds lacs volcaniques aux couleurs intenses, on les croirait peints. 




Pour les habitants, le Kelimutu est un volcan sacré, et la légende veut que les âmes des morts montent vers ces lacs, celles de jeunes rejoignent la chaleur du Tiwu Nuwa Muri Koo Fai (lac turquoise), celles des vieux le froid du Tiwu Ata Poplo (lac vert) et celles des méchants le Tiwu Ata mbupu (lac noir).

Je m’échappe ensuite sur le sentier (interdit) faisant le tour des deux cratères, presque joints, des lacs bleus et verts. 
Plus le soleil monte dans le ciel, plus les couleurs des lacs sont intenses, et je me retrouve totalement seul à contempler ce spectacle, la mer à l’horizon, avec comme fond sonore la forêt toute proche au-dessous qui s’éveille.

Je redescends, à pied, traversant tout d’abord une jungle plus que dense, tout est surdimensionné, le bruit de la jungle et de ses millions d’insectes est assourdissant, puis je débouche sur les pentes fertiles du volcan ou la majorité des terres est en culture.





















Je décide de prendre un short cut, qui s’avèrera un long cut, et je me retrouve de l’autre cote du Kelimutu par rapport à Moni, il ne me reste qu’à le contourner pendant plusieurs heures, traversant de nombreux villages de tisserand, j’achèterai pour le coup un sarong plutôt joli.







J’arrive, enfin,  à Moni dans l’après-midi, presque mort de chaud, boucle mon sac en vitesse et me poste en bord de route afin de héler un bus ou un taxi collectif… Ce sera le deuxième choix, et tant mieux pour le confort, qui me prendra quand même une heure après.

Je reste une nuit dans la pas très agréable ville de Maumere, poussiéreuse, sale, très étendue, j’en profite pour faire des « trucs » de ville, internet, banque, course, renseignements sur les bateaux…

Je déguerpis, dès le lendemain matin,  pour aller m’installer à une vingtaine de km de là, encore considéré comme la banlieue de Maumere, dans un sympathique bungalow en bord de plage, au Lena house. 

Il n y a que 3 bungalows, occupés par une hippie suisse de l’âge de ma mère, une anglaise et une roumaine, qui partiront le lendemain de mon arrivée, après une soirée bien « indonésienne » dans un bar karaoké… No comment…

Ces 3 jours de repos me font le plus grand bien, lecture, snorkelling, petit (long!) tour en barque de pêcheur, le clapotis des vagues à longueur de temps… Que du bonheur… !







Je rejoins, par bus, le port de Larantuka à l’extrémité Est de Flores, puis par ferry la ville de Lewoleba sur l’île de Lembeta dans l’archipel de Solor. La balade est très agréable car toutes ces îles aux impressionnants volcans ne sont séparées que par de minces détroits. 





L’île de Lembeta ne reçoit à peine plus de 300 visiteurs par an, la charmante ville de Lewoleba se trouve au pied du majestueux cône fumant de l’Ili Api. Les habitants sont tous chrétiens, des iconographies de Jésus et de la Vierge Marie sont affichées un peu partout, et portent des noms comme Celfius, Juseph, Thomas…

Je me sens bien dès mon arrivée ici ; les gens sont agréables et vraiment pas stressés. Je tombe sur un festival de danse traditionnelle dont tous les protagonistes logent dans mon hôtel, je rencontre Noker, un jeune d’une vingtaine d’années, venu d’un village éloigné avec sa sœur et son oncle. 




Il m’explique que sa vie est assez triste et ennuyeuse et que la danse illumine son existence. Inutile de vous dire que je n échapperai pas à me dégourdir les jambes avec eux, je serai même invité au repas de fin (grillade de poissons, crabes et riz bien sûr !…mhmhmh).




Au cours d’une balade le long de la côte, où je découvre de super spot de snorkelling,  je rencontre une petite famille super sympathique, les parents, Thomas et Mouna ayant mon âge, une fille Maria de 8 ans et un garçon, Philip de 5 ans. Mouna parle très bien anglais car elle a étudié le commerce à Singapour. 

Elle me raconte qu’elle vient d’une riche famille musulmane de l’île de Java, ce qui lui a permis d’aller étudier à Singapour. Elle n’arrivait pas à se faire à la vie dans la mégalopole, malgré un très bon job, et a rencontré son mari, qui lui est catholique, au cours d’un voyage en Indonésie. 

Maintenant, ses parents la renient, pour cause de religion et elle s’est convertie. Nous aurons une longue discussion sur la vie en Europe, les relations interreligieuses… 
Elle est extrêmement déçue de la réaction de ses parents, qui ne veulent même pas connaitre leurs petits-enfants, tout ça au nom de la religion. 

Elle me parle également beaucoup de son amie australienne Emeline, qui ne peut pas avoir d’enfant, qui voulait amener sa fille Maria pour l’élever au pays des kangourous en échange de 50 000 dollars. Ce fut une décision très dure à prendre pour elle et son mari, cela leur assurait suffisamment d’argent à vie mais ils ont renoncé à « vendre » leur fille. Elle a du coup refait sa vie ici afin de pouvoir s’occuper de sa famille, cuisiner dans son petit restaurant et vivre heureux.



Je décide de me rendre le lendemain à l’extrémité sud de l’île, dans le fascinant village de Lamalera, dernier endroit de la planète où des hommes chassent encore régulièrement la baleine armés de leur seul harpon en bambou. 

Ce gagne-pain dangereux permet de tuer 15 à 20 cachalots par an, un maigre tableau de chasse que les écologistes ne considèrent pas menacer l’espèce, estimée à plus d’un million d’individus. 

Quasiment 6 h de piste complètement défoncée en camion plus tard, n’ayant croisé qu’un seul minuscule village, je m’installe chez « mama maria », repas et logement pour un prix dérisoire. 

Maria a une cinquantaine d’année, très croyante, et s’occupe de ses hôtes comme une maman, j’avoue que c’est très agréable. J’ai l’impression d’être dans une crique au bout du monde, et c’est le cas. Inutile de vous dire que je suis le seul touriste et que personne ne parle anglais. 2 heures d’électricité par jour, pas de réseau téléphonique, mieux vaut qu’il ne m’arrive rien.







Je découvre la petite crique, le long de laquelle sont alignés une vingtaine d’abris à bateaux aux toits de chaume renfermant rames, filets, harpons et quantités d’os de baleines. Les enfants s’amusent dans l’eau, galopent dans tous les sens, posent pour des photos.




Je repère un coin plein de rochers annonçant un bon spot de snorkelling, il est 5pm, le soleil descendant offre une lumière magnifique. Je me jette à l’eau, les gros poissons prédateurs sont de sortie, la visibilité est parfaite… 

Je commence à ressentir des picotements aux bouts d’une vingtaine de minutes, il y a comme un bruit « électrique » sous l’eau… Voilà que je me retrouve entouré de millions de mini méduses impossible à éviter,  quelle horreur, je mets plus de 10 mn à me sortir de la et à rejoindre la plage… 

Ouf, j’ai des mini brulures un peu partout sur le corps mais rien de grave, la technique du poisson pané dans le sable chaud s’avère efficace.
Je m’arrête écouter, en rentrant chez Mama Maria, une trentaine de personnes, hommes, femmes, enfants, bonnes sœurs, chantant religieusement sous un énorme arbre sur la place du village, créant une étrange atmosphère.

Rendez-vous à 7h le lendemain matin ou des pêcheurs m’amènent en mer… la saison des baleines étant terminée, il me semble comprendre que nous allons pêcher ce qui croisera notre route… 






Nous sommes 11 dans une minuscule embarcation, impossible de bouger. La mer est calme, et tant mieux, vu la stabilité de notre coque de noix, les gars aiguisent les crochets en fer servant de harpons et nous voilà en pleine mer, à la recherche de dauphins, de cachalots, de raies mantas…

 Ce sera un banc d’une trentaine de grands dauphins qui croisera notre route après 2 h de bateaux, ils sautent joyeusement à la surface tout autour de nous. Magnifique, je n’en ai jamais vus autant et de si près…


 
Chacun a son rôle sur le bateau, un harponneur, un driver, un qui tient la corde au bout de laquelle se trouve le harpon, un prêt à lancer une bouée (une boule de polystérène en fait !), un qui aiguise les lames, un qui prépare les bambous harpons, un qui écope l’eau au fond du bateau, les autres donnent la direction au driver et moi j’observe ! 





Mais voilà que la traque se met en marche, un homme se poste à l’avant du bateau, prêt à sauter sur le dauphin pour le harponner, les gars crient à tout va, le mini moteur du bateau est à fond, à droite, à gauche, on tourne autour des dauphins, après 2 h de calme plat, c’est l’euphorie totale. 




Le harponneur se jette à l’eau par deux fois mais manque la cible… Les dauphins finissent par se disperser et nous les perdons de vue… 

Moteur éteint, nous scrutons la mer pendant 1 bonne heure, le soleil cogne fort, personne ne parle… Etrange ambiance que celle d’attendre comme ça au beau milieu de l’océan, on aperçoit à peine la côte. 

Soudain, les gars se mettent a parler tous en même temps, montrant au loin je ne sais quoi… le bateau redémarre, nous partons dans cette direction, il y a une énorme BALEINE !!! 

Nous passons à quelques mètres, les gars sont euphoriques, ce sont des baleiniers en même temps! Impossible de l’attraper par nous seuls, nous rentrons au village à fond en plus d’une heure. 
BALEO, baleo, baleo, crient les gars en approchant du rivage… 

Tout le village se met en ébullition, tous les bateaux sont mis à la mer, une vingtaine, la moitie sans moteur, seules une petite voile et des rames leur permettent d’avancer, 10 à 15 passagers par bateaux, excités comme des pirates prêts à l’abordage. Je débarque ici et regarde le cortège repartir à la mer pour je ne sais combien de temps.

Je profite de l’attente pour me balader dans le village et rencontre un artiste peintre qui met sur toile les scènes de chasse à la baleine. 


Il m’explique au travers de ces tableaux que le harponneur saute sur le dos du cétacé pour y enfoncer le harpon grâce à son poids, la baleine blessée tentera de plonger entrainant le bateau avec elle mais devra forcément refaire surface. 

Il faut y planter plusieurs harpons afin qu’elle ne faiblisse, la mer devient alors un bain de sang, les chasseurs enfonçant leurs couteaux dans l’animal pour accélérer sa fin.
Attention, c’est une véritable boucherie !

Je suis ensuite invité par un Papi à boire de l’arak ;  il m’explique que c’est une très bonne nouvelle qu’il y ait une baleine, sûrement la dernière avant de longs mois. 

Il était le meilleur harponneur du village il y a quelques années et me fait bien comprendre que c’est un métier très dangereux et qu’il y a régulièrement des morts, dont un de ses fils.

Dans le cachalot, tout sert. Sa chair est partagée, comme le veut la tradition ;  la plus grande partie revenant à l’équipage mais aucune famille du village n’ est oubliée. Ils récupèrent dans la tête une huile, le spermatie, utilisée pour cuisiner. 

Les entrailles sont échangées contre des fruits et légumes sur un marché de troc dans les collines, et les touristes achètent les dents.

Le soleil se couche et les bateaux reviennent. Je me demande comment ils font pour ramener une baleine de plusieurs tonnes avec leurs minuscules bateaux  à rames… 

Je n’aurai jamais la réponse, la baleine, après avoir était harponnée, a plongé faisant chavirer un navire et s’est échappée, m’explique Jusepe. Les pêcheurs sont extenués et déçus par leur longue journée infructueuse. 

Il reste encore à remonter les bateaux sur la plage pour les ranger dans leurs abris et tout le monde rentre chez soi. 






Je suis à la fois soulagé qu’il n y ai pas eu de massacre et terriblement déçu pour tous les villageois avec qui j’ai vécu cette journée que je n’oublierai pas. 

Apres de chaleureux au revoir, je repars à Lewoleba avec le camion bus de 2 h du matin (oui, oui, quel horaire !) qui démarrera finalement à 4 h 30 !